Paul Marchand est né le 1er octobre 1961 à Amiens, France. Il a fait ses études à l’Institut des sciences politiques de Grenoble. Paul a entamé sa carrière de journaliste dans une petite station radio, Radio 100, gérée par Hélène Tavelle. Parallèlement, il a suivi des cours de criminologie et a fait son stage dans la morgue de l’hôpital. A l’aube de ses 22 ans, il a abandonné ses études et est parti pour Beyrouth, où il était correspondant pendant la guerre civile. Pendant les six mois suivants, il était correspondant pour Radio France et quelques médias canadiens. Durant plusieurs années, Paul était le seul journaliste de l’ouest qui travaillait à Beyrouth-Ouest, côté musulman. Le gouvernement français, considérant, qu’il était en danger, l’évacue de force vers Chypre, mais Paul réussit à s’échapper et à retourner à Beyrouth. 

En 1987, il évite de peu la prise d’otages, dont la victime était Roger Auque. Un homme armé a kidnappé le journaliste français à Beyrouth le 20 janvier, mais Paul a réussi à s’échapper aux kidnappeurs et s’est enfui alors qu’on lui tirait dessus. Les deux journalistes couvraient l’histoire de la tentative du représentant de l’Eglise anglicane, Terry Wait, de libérer les otages au Liban. Paul, qui avait réussi à se libéré quelques moments auparavant et à s’enfuir dans une ruelle, a déclaré peu après pour la télévision française : ”J’ai crié à Roger, sauve-toi de là! Sauve-toi!” Mais Auque n’a pas pu s’enfuir. Dans sa déclaration pour la Radio Monte Carlo pour laquelle il travaillait à l’époque, Paul a dit que les kidnappeurs lui tiraient dessus alors qu’il s’enfuyait. Il a dit qu’il resterait à Beyrouth-Ouest : ”Je ne peux pas partir maintenant car Roger est mon ami”.

Après la guerre civile au Liban, Paul est venu en Bosnie-Herzégovine où il rendait compte depuis Sarajevo, la ville assiégée, dans la période de 1992 -1993. C’était un journaliste peu conventionnel. Il n’était pas intéressé par les conférences de presses habituelles, où les informations étaient servies. Il allait au-delà, les cherchant par lui-même et allant même à la morgue pour y compter les morts. Il tenait à ce que la vérité sur la guerre à Sarajevo soit distribuée dans le monde. A Beyrouth, il a appris à vivre dans un monde fermé où les gens n’avaient pas droit à l’information. Sarajevo était une ville close, et il considérait que Sarajevo faisait partie de L’Europe et que le monde devait connaître les vraies informations sur ce qui s’y passait. Il ne portait pas de gilet pare-balles et n’avait peur de rien. Paul a été très critique envers les voitures blindées, les gilets et les casques, et même s’il n’avait pas eu une organisation grandiose des grands médias, il était devenu un des personnages les plus fascinants de tous les journalistes à l’hôtel Holiday-Inn, surtout à cause de son excentricité. Toujours habillé impeccablement, souvent avec un chapeau en paille et fumant un cigare, il avait l’habitude d’être brusque et sans compromis. Autoproclamé ”artisan”, il refusait de porter le gilet pare-balles car il n’en trouvait pas un qui pouvait convenir à ses habits.

Le flamboyant Paul Marchand préférait rouler en ville dans une vieille ‘Ford Sierra’ toute déformée et avec les portes scellées.  
Photo © Thomas Haley

Dans l’allée des snipers, il conduisait sa Ford Sierra sur laquelle était marqué ”Ne gaspille pas tes balles. Je suis immortel” et depuis laquelle on entendait au plus haut volume les tacts de la chanson des Rolling Stones ‘Sympathy For the Devil’. C’était une scène irréelle. Marchand prenait constamment des risques et il était très souvent critique envers ses collègues journalistes qui ne vivaient pas la réalité de la guerre à Sarajevo car ils se conduisaient dans des voitures blindées, portaient des gilets pare-balles et des casques. Paul considérait que les voitures blindées représentaient uniquement un ”statut ”, et grognait sur ceux qui les utilisaient.  Paul disait souvent : ”Il y avait des personnes qui portaient des gilets et des casques alors qu’ils se transportaient dans des voitures blindées”. Il a appris à s’adapter aux ”règles du jeu” dans l’hôtel, autour de celui-ci et généralement dans tout Sarajevo.  Il prenait, sans aucun doute, des risques significatifs mais il était très persistant dans sa pensée où son approche était authentique et justifiée.

‘Ne gaspille pas tes balles. Je suis immortel’. Le capot de sa voiture était décoré par un proverbe latin ‘moritūrī tē salūtant’ ce qui signifie, ‘Ceux qui vont mourir te saluent!’.

Il considérait que Holiday Inn était « l’un des hôtels les plus spéciaux ». Son lobby ressemblait à une caverne froide, sombre et sinistre. Les étages supérieurs étaient entièrement criblés avec d’énormes trous comme fenêtres au monde extérieur. Ces étages supérieurs étaient fermés pour les clients. Cependant, c’était l’accommodation la plus sûre que l’on pouvait trouver dans la ville. Une des anecdotes les plus connues de cet hôtel de guerre était celle lorsque Paul descend par la corde depuis le cinquième étage directement dans le lobby, alors que les personnes présentes l’applaudissent et célèbrent son action. « Paul était un peu fou. Il a apporté cet équipement alpiniste à Sarajevo et tout le monde se demandait pourquoi. Nous étions tous concentrés sur le fait de nous protéger au mieux, car pour le nom de Dieu, il u avait la guerre autour de nous, mais lui – il vivait dans son monde. Le jour où il a fait cette descente, le public l’a très bien accueilli. Il était comme ça, il adorait apporter des turbulences dans le quotidien, même s’il donnait l’impression d’un type très discipliné et droit », raconte le journaliste Britannique Paul Lowe, qui connaissait très bien Paul Marchand.

« Tout ce qu’on a entendu sur lui est probablement vrai. Personne ne sait si c’était une mission suicidaire mais il courait à la mort tout le temps. Les autres tenaient à se protéger d’avantage, mais lui, il s’en fichait. Il conduisait sa voiture qui n’était pas du tout sécurisée, et il ne portait même pas le casque qui lui était disponible. Cependant, il portait quotidiennement une chemise blanche repassée à perfection et fumait le cigare. Personne ne comprenait comment il y arrivait. Il tenait toujours à être impeccable et je pense qu’il se donnait beaucoup de peine. Comme s’il était préoccupé par son apparence et la perception de soi-même au public. Aussi, quand il envoyait ses comptes rendus, il s’identifiait dans ce rôle alors ceux-ci prenaient un ton mélodramatique. J’étais assis à côté de lui alors qu’il hurlait au téléphone satellite, comme s’il voulait transmettre cette situation dramatique qui régnait dans les rues de Sarajevo », conte Paul Lowe.

Slobodanka Boba Lizdek, journaliste et spécialiste en marketing, raconte le moment de sa rencontre avec Paul Marchand en 1992 : “Nous avons fait connaissance d’une manière très particulière. Holiday Inn était un refuge pour des centaines de journalistes étrangers qui suivaient la situation dans la ville de Sarajevo assiégée. Je travaillais en tant qu’interprète et il essayait de me joindre tout le temps. Il était tout le temps pressé et je pensais qu’il était notre citoyen qui parlait français. Sincèrement, j’ai été surprise quand j’ai appris qu’il était en fait français. En tout cas, à un moment il m’a appelé au téléphone et m’a demandée de travailler avec lui, ce que j’ai accepté sans savoir qui il était. Quand nous nous sommes rencontrés devant le bâtiment de la télévision bosnienne, je lui ai dit que je ne serais jamais venue si j’avais su que c’était lui. Il a trouvé cela sympathique, et depuis nous avons continué à travailler ensemble.” Quoi qu’au premier regard il ne lui plaisait pas, très vite ils sont tombés amoureux l’un de l’autre.

« En octobre 1993, nous sommes partis faire un reportage. Nous étions dans la voiture avec notre collègue Philippe, le caméraman. Ils étaient assis devant et j’étais assise derrière uniquement ce jour-là, car j’avais l’habitude de m’assoir devant avec lui. J’ai vu toute la situation comme un film devant moi, le moment où il a jeté ses lunettes, freiné avec sa main gauche et levé le frein à main, et j’ai vu qu’il tenait son bras droit avec son bras gauche et qu’il était sorti de la voiture. J’ai pensé que j’étais blessée mois aussi. J’ai vérifié et j’ai constaté que j’étais bien, puis je suis sortie pour le suivre. Nous avons appelé Philippe mais il ne réagissait pas. Quand j’ai vu Paul qui se tenait debout au beau milieu de la rue, au milieu de nulle part, blessé par une balle de PAM de 12,7mm, je me suis jetée sur lui pour l’abattre sur terre où je lui ai donné le premier secours, fait un bandage sur sa blessure pour arrêter le saignement et tout cela était terrifiant. Puis, j’ai commencé intuitivement à lui taper dessus, le long de tout son corps, pour qu’il reste conscient. A un moment donné, il m’a regardé et m’a demandé : „Pourquoi tu me frappes ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? “ Je savais qu’il ne fallait en aucun cas qu’il perde conscience. Alors, j’ai continué à lui taper dessus, partout où je pouvais », se rappelle Boba Lizdek.
« Quand nous sommes arrivés à l’hôpital, le médecin ne pouvait pas croire que Paul était debout car il a perdu presque tout son sang. A part cela, il pensait que j’étais blessée aussi, car j’étais couverte de son sang et de parties de sa chair. Quand il m’a demandé qu’est-ce que j’ai fait, je lui ai dit, “Docteur, je l’ai battu à mort », raconte-t-elle.

Après que Paul ait été blessé, il a dû être évacué par urgence vers la France où il a subi plus de 60 opérations. Leurs destins ont été séparés mais pendant tout ce temps ils sont restés en contact. Plus tard, il s’est tourné vers la littérature et passait son temps à écrire des romans (il a dû apprendre à écrire avec la main gauche après qu’il ait perdu l’usage de son bras droit), mais il avait du mal à accepter la réalité qu’il ne pourrait plus faire le travail qu’il aime. Cette vie de film d’un reporter de guerre a été transcrite par la suite dans les mémoires „Sympathie pour le diable“, que Paul Marchand a publié peu après qu’il ait quitté Sarajevo. “Quand j’ai lu le livre de Paul pour la première fois, je lui ai dit que c’était une histoire de cinéma et je pense que tout a commencé à ce moment-là. L’idée a commencé à se développer en 2005, quand Paul a commencé à écrire le scénario avec Guillaume Vigneault et Guillaume de Fontenay”, nous raconte Slobodanka Lizdek.

Paul Marchand s’est suicidé en 2009. Il avait 48 ans. Sa complicité avec le diable est arrivée au sommet. Aucun reporter ne portera plus jamais, avec autant de confiance en soi, de chemise blanche, parfaitement repassée. « A ce moment-là, j’ai pensé que l’idée du film était morte mais en 2012, sa réalisation a recommencé », dit Slobodanka qui a été l’inspiration et une partie inséparable de la vie de Paul. Ses mémoires, dont le titre est enraciné dans la célèbre chanson des Rolling Stones, Paul Marchand les a transcrits dans le scénario pour le film mais ne l’a jamais terminé. Le réalisateur Guillaume de Fontenay les a repris là où Paul s’est arrêté.

Le réalisateur du film, Guillaume de Fontenay, a essayé de trouver les fonds nécessaires pour le film, ce qu’il a réussi à faire en 2018, quand il a tourné à Sarajevo peut-être l’une des plus sérieuses mises en scène du siège. “Sympathie pour le diable“ apporte au grand écran l’histoire de Paul Marchand, le journaliste et le reporter de guerre français, qui affrontait la brutalité de la guerre et de la vie dans la ville assiégée. A part cela, le réalisateur montre également la vie privée du journaliste avec un amour inhabituel entre le reporter de guerre et la jeune fille de Sarajevo, Boba Lizdek, qui lui a entre-autre sauvé la vie.

Bande-annonce du film ‘Sympathie pour le Diable’ que vous pouvez visionner ici.

« Pendant ce temps, la guerre en Bosnie a été intimement liée avec la voix de Paul Marchand, dont j’écoutais les histoires à Radio-Canada », se rappelle le réalisateur qui nous offre son premier film. C’est un conflit qui m’a choqué. Savoir que la communauté internationale a laissé durer le siège de Sarajevo pendant quatre ans, durant laquelle étaient tués quotidiennement des dizaines de civils… J’ai toujours ce problème avec notre apathie collective : la même chose s’est répété en Syrie », nous dit Guillaume de Fontenay.

Le coréalisateur du film ‘Sympathie pour le Diable’ Amra Bakšić Čamo, affirme que le reporter de guerre ne peut pas toujours se séparer de ses histoires. « Son livre est d’autant plus intéressant car il parle du journaliste qui quitte les alentours habituels des journalistes. Il a des amis qui perdent les membres de leur famille tous les jours et qui n’ont rien à manger. Pour la plupart des journalistes, c’était une sorte de blitzkrieg: ils arrivent là pour une courte période, font leur reportage, retournent chez eux et essaient de ne pas laisser ces expériences affecter leur vie quotidienne. Mais, pour ceux qui sont restés et qui ont vécu un long moment à Sarajevo, leurs vies ont changé à jamais », explique Amra. Elle demande, « Comment pouvaient-ils tracer une ligne entre l’objectivité et la vie des gens de Sarajevo? Je pense que nous devons toujours être conscients que nous ne faisons pas des films uniquement pour demain : nous les faisons pour l’éternité. Donc, il n’est pas seulement question de l’impact direct qu’aura la distribution du film en Bosnie-Herzégovine ou en France aujourd’hui, mais nous devons penser comment ce film serait perçu 40 ans après sa première », conclue Amra Bakšić Čamo.

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« A Beyrouth, comme à Sarajevo, je levais mes voiles pour la mort sur mon chemin de destruction. En tant que journaliste, je devais raconter l’histoire en vocabulaire de ruines, en un langage infini pour prouver que les guerres ne sont qu’un petit bruit dans un grand silence. Un bruit temporaire quand le silence devient insupportable. Le rêve d’un monde meilleur, même si le rêve est turbulent et obscène. »

Paul Marchand

« Dans l’un de ses livres, lorsqu’il décrit ce moment où il a été blessé, il se souvient, évoque notre amour, et dit, “Nous n’avions jamais eu le temps de parler de l’amour dans la guerre’.” Ce n’était peut-être pas digne de la situation d’en parler. Simplement, je me sentais vraiment en sécurité avec lui. En fait, je n’avais peur de rien, même la première fois quand il m’a proposé d’aller par ‘l’allée des snipers’, la grande avenue où personne n’allait sauf les journalistes dingues. Je lui ai dit : “Ok, pas de problèmes“. Il m’a demandé si j’avais peur. Je lui ai dit que non, si on y va, on y va et c’est OK. Tout simplement, ce qui était important c’est qu’on soit ensemble et qu’il sache que je vais bien, si on se retrouve séparés, que j’ai assez de nourriture. Comme il l’a écrit, dans la guerre parler de l’amour n’était pas digne car nous avions d’autres soucis, mais l’amour était bien là, en nous, autour de nous et entre nous” – raconte Boba. “Nous sommes vraiment liés à jamais et je pense que le type de relation que nous avions ne peut être décrit avec tout le vocabulaire de ce monde. Même s’il n’est pas parmi nous, il est, d’une manière ou d’une autre, omniprésent dans ma vie. Nous sommes toujours ensemble, même dans ses livres. Nous sommes destinés pour l’éternité », dit-elle.

Paul et Boba, en train de dîner, avant d’être blessés. Octobre 1993, Sarajevo.
Photo © archives privées

Derrière ce brave homme, qui est venu à l’endroit le plus dangereux du monde afin de transmettre la vérité sur les souffrances et les tragédies du peuple de Sarajevo, resteront les livres et le film “Sympathie pour le diable“, qui racontera la grande histoire d’amour en temps de guerre. L’histoire de l’amour enflammé dans la ville qui était destinée à être réduite en cendres et mourir, mais aussi dans la ville qui a survécu à toutes les balles et grenades. L’amour était plus fort que tout le reste. Slobodanka Boba Lizdek en est le témoin.

Mémorial aux journalistes et employés des médias à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine.
Paul Marchand a gagné le prix spécial du jury de Bayeux War Correspondents en 1994, pour son travail à Sarajevo.
Photo © Emir Jordamović

On raconte que pendant ses études en guise d’entraînement, Paul visitait des hôpitaux et des morgues. Est-ce que c’étaient les débuts de son désir de mort? Un instinct suicidaire dissimulé qu’il a nourri expressément dans l’espoir qu’une de ses escapades insensées et folles porterait ses fruits? Ou serait-ce simplement la preuve que ceux parmi nous qui paraissent les plus fous sont en fait ceux qui sont les plus dignes d’exister?

« J’aime les morgues des villes qui sont en guerre », écrit-il dans ses mémoires en plus de nombreuses autres pensées inhabituelles qui poussent les lecteurs à la réflexion. Pourquoi s’est-il pris la vie et pourquoi se mettait-il toujours dans des situations très dangereuses?

Scène du film documentaire ‘Veillées d’armes’ sorti en 1994.

PAUL MARCHAND est né le 01. Octobre en 1961 à Amiens, France.

Il nous a quittés le 20 juin 2009 à Paris, France. 




Photo de couverture: Emmanuel Ortiz
Remerciement spécial à: Slobodanki Boba Lizdek & Nedzla Dedajic
Traductions: Asmir i Edina Demir
l’originee: Klix.ba, Oslobodjenje.ba, Azra.ba & BalkanInsight.com
Musique utilisée: ‘Erik Satie – Gymnopédie No.1’
La chanson est autorisée pour utilisation non commerciale sous licence:
Attribution-NonCommercial 4.0 International (CC BY-NC 4.0)

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